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Changer de logique pour une Fusacq fructueuse rapidement

Maxime Vignon - CEO de Nexenture
Par Maxime Vignon
Co-Fondateur et CEO Nexenture
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La logique d’une fusion/acquisition, que vous envisagez peut-être ou que vous venez de réaliser, est d’abord une logique économique.

Augmentation des parts de marché, position de leader, synergies commerciales et marketing, intégration de la chaine de valeur, capacité d’investissement, capacité à délivrer à une échelle plus large… toutes ces raisons sont bonnes et vous les avez travaillées pendant de longs mois, voire de longues années avant de réaliser cette opération. C’est la logique même des mouvements de concentration et c’est tout à fait positif à bien des égards.

En revanche il est assez rare que la dimension humaine soit le point de départ d’une fusion/acquisition. Ou en tout cas c’est rarement exprimé. Si elle est intégrée comme une étape de la due diligence, la diligence culturelle/humaine est, dans les faits, souvent éclipsée par les diligences financières, juridiques et opérationnelles.

L’enjeu des équipes est donc plutôt un corollaire ; un sujet à traiter en temps 2. C’est pourtant un facteur clé de succès (ou d’échec) primordial : si la fusion a pour résultante de faire partir les meilleurs talents, et d’engendrer un climat de défiance ou d’attentisme… vous risquez fort de ne pas en avoir pour votre argent ! Et si on est très honnête, ce qui est mis en œuvre est rarement très rassurant, ni très inspiré. Ce n’est pas une généralité mais on a parfois le sentiment que l’équipe dirigeante a déjà fourni trop d’efforts pour arriver à la fusion et qu’elle joue ensuite le facteur humain à pile ou face.

Les grands classiques à destination des collaborateurs


Un grand leader d’entreprise ne peut pas arriver à un certain stade s’il/elle n’a pas la dimension humaine et managériale à l’esprit dans toutes ses décisions. Il est donc évident que toutes les fusions/acquisitions s’accompagnent d’actions en direction des équipes. On observe notamment, et c’est très bien, des grands classiques…

La communication interne lors d’une fusion-acquisition


Communiquer régulièrement sur la fusion, son avancée, ses conséquences, les opportunités que cela ouvre. C’est forcément une bonne approche : expliquer ce que l’on fait pour ne pas laisser les talents dans l’incompréhension ou l’incertitude. Les enquêtes, sondages, audits…

Que ce soit par une collecte directe ou indirecte, il peut être intéressant et utile de mesurer régulièrement comment les équipes ressentent la fusion, comment elles se projettent dans l’entité nouvellement formée. On peut également diagnostiquer des éléments de culture, d’organisation du travail, repérer des craintes ou des souhaits…

La direction sur le terrain


Aller à la rencontre des équipes, surtout celles qui rejoignent votre entreprise, échanger, répondre aux questions… oui !

Le contact direct est certainement la meilleure option pour sentir les équipes, échanger sur leurs inquiétudes et les engager dans le nouveau projet commun, mais elle ne passe généralement pas à l’échelle : et si vous avez adressé les craintes de 200 personnes, mais que votre fusion/acquisition en embarque 6000… il vous reste pas mal de boulot !

Ces grands classiques sont donc à prendre avec tout leur intérêt mais aussi toutes leurs limites… En effet, ils interviennent principalement sur une dimension (certes essentielle) d’atténuation des craintes. Or ces craintes sont profondes, souvent inexprimées voire inexprimables, et l’atténuation ne les élimine pas pour autant.

Comprendre la dimension psychologique profonde


Pourquoi certaines craintes seraient-elles inexprimables ?


Faisons un effort de projection : je suis collaborateur dans une unité de production, ou à l’ADV dans une entreprise. Un jour on m’apprend que nous fusionnons avec une entreprise de taille comparable. On va souvent profiter de l’occasion pour me démontrer les forces de cette entreprise nouvellement rachetée et les synergies époustouflantes que cela va permettre. Très individuellement, cela va générer en moi plusieurs sentiments négatifs ; c’est humain et parfaitement compréhensible :

  • suis-je au niveau ? toutes mes limites, mes incapacités me viennent immédiatement en tête. Il est vrai que je ne suis pas le plus rapide des chefs d’atelier ou des ADV. Il est vrai que je ne suis pas toujours à l’aise avec les outils. Il est vrai que je parle très peu anglais… Tous ces éléments prennent instantanément un jour nouveau : l’absolu de ce que je suis et de ce que je fais dans mon job devient comparaison ! Et ça m’inquiète.
  • quelle est ma place ? mes interrogations fugaces sur la valeur ajoutée de ma fonction, sur le fait que, peut-être, l’équipe pourrait tourner sans moi, sur le fait que, peut-être, ma BU n’est pas rentable depuis plusieurs années… tout ça est également éclairé par l’annonce de la fusion : une grande transformation suggère toujours d’aller soulever des tapis qui ne l’ont pas été depuis longtemps, vais-je en faire les frais ?
  • comment se répartit le pouvoir et qui croire ? Si on passe de 2000 à 4000 collaborateurs, si on passe de 2 à 17 pays, toute la chaine managériale que je voyais comme une déclinaison du pouvoir jusqu’à moi devient une « sous partie » et le leadership et l’autorité que je leur reconnaissais est immédiatement divisé par 2 ou par 4 ou par 8. Dès lors, puis-je croire ce qu’on me dit ?

Ces craintes sont fondamentalement inexprimables :


Qui, submergé de toutes ces craintes, et dans un contexte qui devient soudainement instable va de lui-même mettre en lumière ses limites, ses tourments, et exprimer à sa hiérarchie qu’il ne peut pas les croire sur parole ?
Alors il va falloir trouver des solutions, des façons de faire inédites et performatives, pour faire taire ces craintes, les transformer en énergie… et remettre dans l’axe une équation bancale : ce qui est peut-être la meilleure nouvelle depuis 40 ans pour votre entreprise est aussi potentiellement la pire nouvelle pour vos équipes.

Autrement dit, là où le dirigeant voit dans la fusion/acquisition une opération du type 1+1=3, le collaborateur appréhende celle-ci différemment en voyant l’opération plutôt comme 1+1=1.

Il convient donc de réaligner, le plus rapidement possible, la vision des équipes sur celle de croissance et de développement du dirigeant.

Explorer d’autres pistes pour faire de cette opération un succès humain


Pour commencer : assumer son rôle de leader ! Dans ce contexte particulier, le seul crédible (voire le seul audible !), le seul point commun à 100% pour les deux entités, c’est vous ! Il est clé, dans ces moments importants de la vie de l’entreprise de réaffirmer votre leadership et de le matérialiser par une prise de parole rassemblante et par des actes concrets.

Favoriser la projection individuelle et collective


Battez le fer tant qu’il est chaud ! Participer à la construction des synergies, c’est une manière positive de démontrer qu’on est acteur, qu’on a de la valeur, qu’on a sa place dans la nouvelle organisation. C’est bien sûr très positif pour l’entité nouvellement formée, mais c’est surtout crucial pour la psychologie de chacun : si je participe, si je contribue, c’est que je ne suis pas resté à quai. Et si on me donne cette opportunité, c’est qu’on compte sur moi !

Cette projection commune, alors même que la fusion/acquisition est récente, permet à chacun de contribuer et de faire sa part, tout en constituant la 1ère pierre de la mémoire collective de la nouvelle organisation.

L’importance de l’universalité


Chaque collaborateur a son rôle et sa valeur ajoutée dans l’organisation et il est important d’inclure l’ensemble des collaborateurs dans cette projection. En effet, si tout le monde construit ensemble, si tout le monde se parle, peu importe qu’on vienne de l’entité A ou de l’entité B, peu importe la langue… on fait déjà équipe.

On peut être tenté, dans ces moments-là, de se concentrer uniquement sur ceux que l’on va identifier comme « collaborateurs clés », par exemple : le management intermédiaire, les ventes… en ne permettant qu’à cette population de travailler à la projection et à la construction de la nouvelle organisation. Quel message délétère pour le reste des collaborateurs ! Cette approche consiste finalement à partitionner les équipes, en mettant en lumière ceux qui sont « importants » pour l’organisation et ceux qui le sont moins… amenant ainsi un clivage difficile à rattraper par la suite entre ceux qui bénéficient directement de la fusion/acquisition et les autres…

Une fusion/acquisition c’est une rencontre


Au-delà d’accords écrits sur le papier entre deux personnes morales, une fusion/acquisition c’est avant tout une rencontre entre deux histoires, deux cultures, deux groupes d’hommes et de femmes qui vont devoir écrire un futur commun. Aussi, pour que la mayonnaise prenne, l’enjeu est donc d’identifier rapidement les sujets d’échanges et de co-construction sur lesquels les équipes vont pouvoir s’engager concrètement en réduisant à peau de chagrin le temps de l’attentisme, de l’immobilisme ou de l’incertitude.

On est souvent méfiant, inquiet et suspicieux des masses indéterminées qu’on ne connait pas ; à contrario on est toujours surpris positivement quand cette masse devient une succession d’individus, de personnalités, de « vrais » gens, avec leurs compétences, leurs qualités, mais aussi leurs limites et leurs craintes. Permettre ces rencontres au niveau de l’entreprise, mêmes si elles se font via des dispositifs digitaux, est très important pour que chacun apprenne à connaître les parties prenantes de la nouvelle entité crée.

Le piège à éviter lors d’une fusion-acquisition : l’inaction


Lors d’une fusion/acquisition, le piège à éviter est celui de se concentrer sur les problématiques organisationnelles, techniques, juridiques, financières et de délaisser la dimension humaine d’une telle démarche.

Autrement dit, oublier le temps de l’opération, que l’entreprise est avant tout une aventure collective d’hommes et de femmes. Ne rien prévoir de spécifique sur le plan humain, ne pas engager d’action sur cette dimension essentielle, voilà le principal écueil. Bien au contraire, il faut projeter l’ensemble des équipes dans l’action.

Comme le dit le philosophe : « L’action guérit cette sorte d’humeur, que nous appelons, selon les cas, impatience, timidité ou peur » Alain.

Ainsi, si la logique économique a pu primer à la réalisation de la fusion/acquisition, la logique humaine est un point crucial à adresser dès les premiers instants, au risque de perdre à moyen terme, les bénéfices de l’opération. La période d’incertitude générée pour les équipes doit appeler le dirigeant à agir et à exprimer un leadership fort et mobilisateur pour permettre à chaque collaborateur de contribuer activement à l’écriture du nouveau chapitre commun de la vie de l’entreprise.